Miss Kittin

Miss Kittin

Miss Kittin, la voix de l’underground. L’égérie de l’electroclash était aux platines du Rex le 13 mai avec son partenaire The Hacker. Nous l’avons rencontré la veille pour parler de la sortie de son premier album : I Com.

Tu joues demain soir au Rex, c’est un endroit où tu aimes bien jouer ?

Oui, c’est la famille, même si je n’y ai pas joué très souvent. Ça fait seulement deux ans que j’y viens une ou deux fois dans l’année. Avant ils ne m’avaient jamais bookée, ce qui n’a pas été un problème d’ailleurs, mais bon, ça fait plaisir. J’ai vécu des moments incroyables au Rex, sur les sets de Laurent (Garnier of course, NDR).

Laurent Garnier, c’est une grosse référence pour toi ?

C’est une référence humaine, pas seulement musicale. Parce que c’est un peu le parrain de tous les DJs français, tout simplement. C’est un pionnier dans le sens où il a une capacité à transmettre ses émotions avec des disques, que personne d’autre n’a. En le connaissant je crois que j’ai compris pourquoi : c’est parce qu’il est vraiment ouvert, il a un cœur énorme et c’est par là que ça passe. Là-dessus c’est une grosse leçon. À chaque fois que je le vois je me demande : « mais comment il fait pour être aussi ouvert ? » Et c’est ça la différence entre les grands DJs et les DJs, heu… moyens.

Ce qui est totalement au-delà de toute notion technique…

Je pense que quand même Laurent a une technique impressionnante, impeccable, ce qui le laisse complètement libre pour se concentrer sur la musique. Dans ce sens-là, je pense que la technique est quand même primordiale pour atteindre ce niveau. C’est ça, combiné avec une intuition, un sens de la musicalité.

Beaucoup de DJs sont obsédés par la technique, le calage des disques …

J’étais comme ça aussi, je pense que ça, c’est quand on est jeune, mais après on voit un peu derrière, on voit ce que c’est de construire un set, improviser, trouver des combinaisons de disques qu’on n’a jamais faites avant.

Toi tu improvises systématiquement ou tu prépares tes sets ?

Non, je ne prépare jamais mes sets, mais j’ai une façon d’organiser mon bac à disques de façon à ce que je puisse jouer n’importe où, dans n’importe quelles conditions et je change mon bac systématiquement toutes les semaines en gardant évidemment peut-être pendant deux ou trois semaines tel disque, y’en a que j’ai dans mon bac depuis dix ans, plus ou moins, et d’autres que je garde depuis deux ans et que je joue régulièrement. Y’ a pas vraiment de formule, mais j’ai cette structure disons, dans mon bac, d’avoir ce que j’appelle des outils, des morceaux sans voix, après j’ai des morceaux-clés qui sont durs à jouer mais qui bien placés font un effet mortel, j’ai le coté Leftfield avec l’électro, des morceaux rock, n’importe quoi, j’aime avoir la liberté de pouvoir jouer n’importe quel style quand je le sens, mais en prenant un maximum de soixante-dix disques. Ce qui est le challenge encore d’être limitée, mais qui force à se creuser la cervelle, plutôt que d’avoir soixante kilos de disques et tu sais plus lequel jouer tellement t’en as. Enfin, chacun a son truc.

C’est plus le résultat qui t’intéresse ? En même temps tu joues une musique très électronique, basée sur la technologie, qui doit tout à la technologie. Tu as d’ailleurs, paraît-il, composé une partie de ton album sur ton ordinateur…

Pour cet album, pas vraiment, non, enfin j’ai des morceaux là sur mon ordinateur que je fais tranquillement. J’ai fait le remix d’Ellen Allien comme ça, mais pour moi c’est plus un moyen de tranquillement apprendre par moi-même quand j’en ai envie, une heure par-ci, une heure par-là, c’est plus que j’apprends en expérimentant, mais sans me fixer de but parce que justement, ce qui m’intéresse, non, c’est pas le résultat, c’est le processus. Y compris dans cet album d’ailleurs, c’est le challenge de le faire qui est intéressant, le moment où tu es dans le studio et le morceau prend vie et une fois qu’il est terminé, bon, voilà, ça y est le plaisir est fini, c’est pour ça que mixer c’est super, parce que tu as ça pendant trois heures, hyper intensément, en plus avec la musique des autres et tu peux reproduire ça à l’infini sans que ça soit jamais la même chose.

Alors justement, passer de la musique des autres, que tu mixes, à ta propre création, ton propre album, ça s’est fait facilement ?

Oui parce que j’arrive à séparer relativement bien les deux et en même temps ça se mélange bien puisque je branche un micro sur la table quand je mixe par exemple. Je peux faire ça, mais surtout je pense que faire des disques, évidemment ça permet aux gens de mieux me connaître mais c’était pas le but en fait, ça me donne une liberté de pouvoir éviter la pression par rapport à mon premier amour, qui est de mixer. Ca me donne encore plus de liberté de revendiquer que je viens des clubs et des raves et que je n’ai aucune envie d’en sortir parce que je suis très heureuse là-dedans, j’ai pas envie de rentrer dans le milieu du showbiz, je suis très heureuse là où je suis au milieu des gens en sueur et je prouve que c’est tout à fait possible de faire les deux, alors qu’il y a cette légende comme quoi à partir du moment où tu commences à avoir un nom et à vendre des disques tu n’as plus le droit quelque part d’aller dans les petits clubs parce que c’est réservé aux gens underground. Mais être underground, c’est pas forcément ça. Être underground c’est défendre tout simplement ses convictions en dehors du marketing et des choses comme ça et je pense que pour moi c’est quelque chose de très très très important.

Mais tu ne crois pas malgré tout que rentrer dans le système des maisons de disques, sortir un album qui se vend, ce que je te souhaite pour celui-là, ça te fait mettre le doigt dans un engrenage ?

Ça c’est sur moi que ça repose. C’est pas sur la maison de disques, j’ai toujours le pouvoir de dire oui ou non. Je n’ai jamais craché sur les grandes maisons dans le sens où je comprends leur fonctionnement et il est légitime dans une certaine mesure. Eux ils viennent puiser dans la subculture les artistes de demain et c’est tout à fait possible d’avoir du succès et de rester proche de ses racines, c’est la même chose dans le milieu du disque, c’est tout à fait possible de s’associer avec des professionnels avec des moyens relativement plus importants que ceux d’un petit label tout en gardant une méthode de travail qui reste proche de là d’où tu viens. C’est tout à fait ce que je fais aujourd’hui avec Labels. Surtout que j’ai signé une licence, dans cette optique-là.

Tu restes libre de ce que tu veux faire ?

Mais c’est possible, il faut avoir un bon avocat, lire correctement les contrats. Le problème des gens qui signent avec des grosses maisons de disques, c’est quand les artistes eux-mêmes ne sont pas réalistes, ils voient tout en rose, se disent c’est génial, ils veulent une avance de folie et ne se rendent pas compte qu’évidemment, si les maisons de disques payent autant, c’est qu’en échange tu dois rembourser ça avec ton travail. Moi j’entends plein de gens qui se plaignent du milieu du disque, qu’ils se sont fait avoir et tout, mais c’est à mon avis une question de naïveté. Moi aussi je me suis fait avoir, et pas du tout par des grosses maisons de disques, mais je ne le regrette pas parce que ça m’a appris beaucoup et je souhaite à tout le monde de le vivre au moins une fois pour comprendre comment ça fonctionne et c’est vachement intéressant. Surtout, le problème de la plupart des artistes, c’est qu’ils voient les choses de manière assez primaire, pour eux, c’est : soit les maisons de disques sont des salauds, soit c’est l’eldorado. Y’a pas de demi-mesure quoi, ils se laissent trop séduire par l’argent, c’est là le problème.

Est-ce que demain tu vas jouer de tes propres morceaux, en tant que DJ ?

J’ai vraiment beaucoup de mal à faire ça. Jamais je n’ai mis un morceau à moi dans une playlist. Beaucoup de DJs le font… Je ne les critique pas, mais ça ne me ressemble pas.

Pourtant ça paraît normal que tu kiffes ton propre son, que tu aies envie de partager ta musique …

Oui, mais comme jte disais tout à l’heure, pour moi ce qui est important, c’est le moment où je fais le morceau, une fois qu’il est sorti j’ai pas de plaisir à le réécouter. Ça ne veut pas dire que je n’aime pas ma musique. Mais je préfère mille fois écouter d’autres groupes, ça me nourrit plus, ça m’éclate plus que de m’écouter en boucle ! Bon, dans mes sets j’en joue un ou deux parce que ça fait partie du plaisir que je fais aux gens, c’est normal. Mais je préfère mille fois jouer la musique des autres. Ça c’est sûr.

IInterview réalisée le 12 mai 2004 par Jazzie C.