Mr Oizo : la fascinante rencontre

Mr Oizo : la fascinante rencontre

Quentin Dupieux, plus connu sous le nom de Mr Oizo, « le mec qui a fait la pub Levi’s avec la peluche jaune… », est ce que cette époque te manque ?

Pas du tout. Parce que forcement j’étais plus jeune donc plus bête. Chaque jour je me trouve meilleur, je progresse et je ne reviens jamais en arrière… Ou alors peut être que la seule période que je regrette c’est quand j’avais 4 ans, où il ne se passait rien d’important. Quand je fais un morceau c’est toujours le meilleur morceau, sinon je ne le fais pas ou le morceau n’aboutit pas…  Si je termine un morceau que c’est vraiment mon meilleur morceau jusqu’à maintenant. J’évalue pas par rapport au reste quand je dis ça, c’est quelque chose qui se fait spontanément. Si je suis excité par un morceau c’est toujours le meilleur, c’est toujours le dernier. Au moment où je faisais flat beat, c’était mon meilleur morceau, au moment où je faisais mon album, chaque morceau à chaque minute où je le faisais c’était le meilleur morceau possible.


Et Flat Beat c’est un morceau que tu as fait pour la pub, ou c’est un track que tu avais déjà fait et tu as choisi de l’utiliser à ce moment là ?

Je l’ai fait pour la pub, très rapidement, une boucle de 30 secondes. Je suis parti tourner, puis on a collé le morceau dessus, et la pub est sortie comme ça. Et seulement après, puisqu’il y avait eu un buzz et tout ça, il a fallu sortir un disque. Mais c’était pas prévu à la base.


Mr.Oizo – Flat Beat Levis

Et de là tu as décidé de t’orienter vers une carrière plus musicale ?

Non, pas du tout, je fais les deux, passionnément, il se trouve juste que le cinéma c’est plus difficile, tu ne pas monter un film toutes les 10 minutes,

Je parlais plus de la pub en fait…

Ah, je n’étais pas publicitaire du tout en fait, je n’ai postulé du tout non plus ; je faisais des courts métrages et un producteur en a vu un qu’il a montré à Levi’s et ils m’ont demandé de faire la pub. J’étais pas publicitaire du tout c’était ma première expérience de publicité.


Depuis cet événement tu as gardé la peluche jaune, pourquoi ?

« Gardé », c’est à dire ?

Elle fait comme un come back aujourd’hui dans tes visuels…

Écoute elle revient parce que le truc est jamais mort, parce qu’il y a encore beaucoup de gens qui l’aiment, et parce que si tu veux ma référence à Bunuel sur la pochette, elle est pas innocente, c’est que je me fantasme comme étant un surréaliste parce que dans ma façon de fabriquer, de faire des films, de la musique, il y a beaucoup de ça, je me nourris de trucs aléatoires et j’aime bien ce côté cadavre exquis si tu veux. Je ne suis absolument pas en contrôle de ce que je fais, je fais ce qui vient.

J’allais te demander où se situaient tes influences, mais d’après ce que tu viens de me dire ça tire un peu partout.

Ba ouai ! Je suis autant influencé par les trucs que je déteste. J’ai réalisé ça y’a pas longtemps, tu vois un jour je regardais un film de merde, vraiment un truc de merde, un truc qui me plaisait absolument pas, j’étais en période d’écriture et puis le lendemain je me suis rendu compte qu’il y avait deux trois codes du trucs de merde qui étaient restés en moi et qui ressortaient, donc ça c’est un truc que tu peux pas contrôler. Après oui, il y a les choses que j’aime, mais malheureusement tu es influencé par tout, un chauffeur de Taxi, de la musique de merde que t’entends en boîte, de la musique sublime que t’entends ailleurs etc. T’es tout le temps influencé par tout donc ça sert à rien de canaliser, puisque ça ne dépend pas de toi finalement.

Pourquoi Ed Banger et plus F com ?

Ba F Communication, ça a coulé, et puis Eric Morrand, le manager d’F Communication a complètement perdu sa passion, ça fait trop longtemps qu’il fait ça, j’ai senti qu’il n’était plus passionné, il faisait ça comme une routine, il attendait les vacances, donc on ne partageais plus vraiment d’excitation, on a jeté Moustache comme ça dans les bacs, il s’en est pas occupé, il était plus intéressé. Donc c’est normal que le truc se soit cassé la gueule, après il a eu des problèmes financiers, et puis là il met la clef sous la porte.
Voilà, et puis pourquoi Ed Banger, et bien parce que Pedro m’a appelé, m’a proposé de travailler avec lui, et c’est un mec tellement simple qu’en fait c’est aussi simple que ça.

Est ce que t’as l’impression que c’est un meilleur endroit pour expérimenter musicalement ?

Non, ça ça ne dépend que de l’artiste en lui même. Quand j’étais chez F Communications, ce que je faisais était 100 fois plus expérimental, mais uniquement par rapport au label, C’est à dire que vu ce que le label sortait comme musique, ce que moi je sortais c’était complètement fou. Aujourd’hui, puisque chez Ed Banger il y a des mecs qui font des trucs un peu barjos, j’ai moins l’impression d’expérimenter. Mais c’est un très bon label pour expérimenter, si je dis à Pedro demain : « Viens on sort un truc avec que du bruit », il me dira ok.

En ayant bossé avec deux pontes de la musique électronique en France, à savoir Laurent Garnier et Pedro Winter, est ce que tu pourrais nous dire ce qui les rapproche et les différencie, ce sont deux personnes qui ont fortement contribué à donner une identité française à la musique électronique.

Je crois que c’est la passion, même si c’est un terme ringard, c’est ça. Pedro bouffe la musique à fond, il est hyper curieux, malgré son succès malgré sa posture il va encore écouter des trucs sur myspace, il écoute les disques qu’il reçoit, il est passionné quoi, il adore la musique. Il a une vraie culture musicale, et Laurent Garnier c’est pareil, ma première rencontre avec lui, ce dont je me rappelle, c’est sa collection de disques, il avait TOUT. Une collection de tout ce qui existe, Funk, Jazz, Electro, Rock, tout ce que tu veux.
C’est des gens qui sont passionnés de musique et je crois que c’est ça qui les alimente avant tout.
Pedro n’habite pas dans un château tu sais, il adore la musique et il vit de ça.


Dans tes deux derniers albums tu parles de computer music, mais j’entends quand même un côté analogique dans tes productions, tu as une recherche des sons très poussée ?

Non. Maintenant je suis dans un système où j’ai même pas besoin de me dire, « ah il faut que je mixe le morceau » et où quand je vais le mixer je vais me dire « ah il faudrait que la batterie soit mieux », c’est un truc qui se fait tout seul. L’idée est bien plus importante que la réalisation, une fois que je finalise le morceau c’est un truc automatique, j’arrive à faire le faire sonner comme je veux que ça sonne. Effectivement aussi je sample des petits bouts de vinyls pour les traiter dans l’ordinateur, c’est peut être ça qui donne un son analogique.

Aaah, et tu samples quoi par exemple ?

Des bruits de fond, des sons de batterie, des petits bouts de trompette, des trucs comme ça…

C’est pareil, tu pioches un peu partout, tu n’as pas de période de prédilection ?

Non, par contre j’ai un son de prédilection, qui est très dur à définir d’ailleurs… Là avant de faire cet album j’ai acheté 100 vinyls, chez un disquaire qui a des vieux trucs un peu rares, ou pas, j’ai acheté 100 vinyls, la moitié en sachant ce que j’achetais, l’autre moitié au hasard, puis quand je pose le diamant sur le disque je sais tout de suite si ça a la couleur que je veux ou pas. Donc je les épluches, je me fait une séance d’écoute où j’en passe 20 en une heure, je sais tout de suite si j’ai le son ou pas, mais ça peut très bien être juste pour un son de caisse claire, une attaque de son de basse que je reprends puis que je rejoue, par exemple mon morceau « cut dick », j’ai samplé une note de guitare qui est doublée avec une basse, ça fait juste « tong », il y a une note de basse qui est un peu plus à gauche, une note de guitare qui est un peu plus à droite, et j’ai juste pris ce son là, après je l’ai mis sur le clavier, j’ai joué ma ligne de basse avec ce son samplé.
Quand j’essaie de faire de la musique purement digitale, c’est rare que ça fonctionne, tu vois il y a quelques morceaux qui sont complètement faits avec comme unique source l’ordinateur, par exemple les deux morceaux « pourriture », c’est des banques de son que j’ai dans mon sampleur, des banques de sons d’usine, mais c’est rare, généralement je pars d’une base chaude, j’ai besoin d’un fragment de truc physique. Mais il n’y a aucun concept là dedans, c’est juste mon confort auditif, si tu veux j’aime pas la techno spécialement, tout ce qui à l’air d’être fait avec un ordinateur, toute la musique qui évoque un ordinateur m’ennuie. Moi ce que j’aime, c’est que la musique évoque une personnalité. C’est pour ça que j’essaie d’être omniprésent sur mon disque et de rappeler qu’il y a quelqu’un derrière les machines, cest pour ça que je dit « Voici la musique d’ordinateur », c’est une façon ironique de dire que ça m’ennuie en fait la techno, parce que ça me fait penser à un ordinateur. C’est mort, c’est de la musique morte, ça me fait penser à un ordinateur c’est un objet mort.

À un moment dans ton disque tu parles de sons bons, mauvais, et d’autres qui sont juste ok…

C’est de la pure honnêteté, c’est ce que je pense réellement mais pour moi c’est ça une œuvre d’art. C’est aussi ma vision, c’est à dire que ce que je considère moi comme le moins bon morceau du disque, ça va être le meilleur pour quelqu’un d’autre.

Est ce que dans ce sens là, les morceaux sont tous indispensables car faisant partie du processus de création ?

Oui oui, ils se répondent tous, généralement je les travaille en parallèle, et comme je te disais, j’ai besoin de sentir que le morceau sur lequel je suis en train de travailler est le meilleur, donc il y a des conflits que si créent entre les morceaux, le meilleur du mardi devient le pire, parce que dans la nuit du mardi au mercredi j’en ai commencé deux qui chamboulent complètement ma vision et qui m’excitent cent fois plus, donc après pour finir le morceau du mardi qui est devenu pas très bien, je suis obligé de le re-transformer en quelque chose de meilleur. Ca fonctionne comme ça.

Par rapport à tes interventions sur ton disque, notamment le « arrêtez de vous reproduire » ou encore celles sur « Bruce Willis is Dead » ?

Alors ce sont deux choses différentes, le « arrêtez de vous reproduire », c’est vraiment parti d’une pulsion méchante envers la population, c’est à dire que je suis pas fan de la race humaine, après on peut effectivement y trouver des bonnes choses, y’a des supers artistes, y’a des supers intellectuels, y’a pleins de gens supers mais globalement c’est une race pourrie, puisqu’on en est encore au Moyen-Age à trancher des gorges, poser des bombes, à être dirigés par des gens malhonnêtes, etc. On vit dans l’horreur, on y est habitués, tout va très bien, nous on est là avec des ordinateurs portables, on vit à Paris, on mange comme on veut etc mais globalement sur terre c’est quand même le chaos. Je plains la race humaine quand par exemple, je n’ai plus la télé mais quand je vais à l’hôtel et que j’allume cinq secondes la télé, j’ai l’impression de voir des mongoliens, enfin au sens mongole, au sens trisomique, des gens complètement perdus, que ce soit des émissions de variété, des reportages sur les gens, j’ai l’impression que tout va très mal. Donc c’était un truc un peu méchant de ma part mais qui finalement se retourne très bien comme une crêpe, comme une blague. C’est ce mélange de noirceur et d’humour qui me définit assez bien, mon film Steak c’était exactement ça, la pulsion de départ c’était de faire marrer les gens et finalement en réalisant le film j’ai été attiré par des trucs un peu lugubres, parce que je voulais en parler. En fait je ne peut pas me contenter d’un truc, c’est à dire un morceau qui est uniquement dansant, et qui contient rien d’autre, ça m’ennuie, un morceau qu’est uniquement noir ou dark ou je sais pas quoi ça m’ennuie, j’aime bien les trucs qui se complètent …

D’où l’album qui peut s’écouter d’une traite, enfin je pense que c’est comme ça que tu veux qu’on l’écoute ?

Bien sûr oui oui, donc effectivement après le truc il est sur internet, tout le monde pique des morceaux à droite à gauche mais ça a été conçu comme une totalité avec des contraires, quand tu viens de te bouffer un morceau de 4 minutes un peu trop dur, y’a un truc tout déconnant derrière, voilà, j’aime bien les trucs complets. Tous les trucs qui sont unidirectionnels ça m’ennuie.

Et Bruce Willis ?

C’était juste une référence, mais tu étais peut être trop jeune, tu connais pas L.A. Style – James Brown is Dead ?

Non…
(c’est ça)

Bon ba voilà, t’es trop jeune, c’est un vieux tube acid des années 90, qui était phénoménal parce qu’en fait à l’époque James Brown n’était pas mort, et c’était vraiment hyper angoissant d’entendre ça, parce qu’en fait y’avait un doute, est ce qu’il est mort ou pas ?, et en même temps c’était complètement débile et drôle, parce que c’était ça le seul gimmick du morceau, t’avais une espèce de techno à chier derrière, et toutes les vingt secondes, le morceau s’arrêtait et ça faisait « James Brown is Dead », et c’était fabuleux si tu veux. Bon bah Bruce Wills is Dead si tu veux c’est ça…

Alors  sinon chez Ed Banger tu travailles beaucoup avec Feadz,

Ba non, mais bon…

T’as pas travaillé avec lui sur les trucs d’Uffie ?

Ba on travaille pas ensemble hein, lui il fait enregistrer Uffie et moi après je fais la musique, donc si en fait, dans le sens où on est connectés sur le même projet.

Ah ok, d’accord. Parce que vous êtes souvent présentés comme des binômes de travail…

Ba non, c’est bizarre, on n’a jamais bossé ensemble… Il était là quand je faisais mon premier album, il a fait des scratchs, machin, mais non, on partage jamais le travail, juste oui on partage un projet, là c’est le truc d’Uffie, qui est un peu en train de s’éparpiller mais bon…

… Ok. Des Projets ?

Oui, j’ai terminé l’écriture d’un film, que j’espère tourner en 2009, qui s’appelle « Réalité », et c’est trop tôt pour en parler, même s’il est écrit, j’ai envie que ce soit une bonne surprise.

On a le titre déjà.

Voilà, Réalité.